liste
des choses que tu as déjà entendues dans la salle du centre social d’un
camp de réfugiés dans les territoires palestiniens occupés :
"s’ils sont là moi ça ne me pose plus de problème maintenant qu’ils sont
là - de toutes façons quoiqu’il arrive, jusqu’à preuve du contraire,
nous, les palestiniens, on est incapable de s’organiser ensemble - je
peux te faire les accents de toutes les villes de Palestine tu verras
c’est fou alors la différence entre l’accent français et l’accent belge
oui je comprends ça fait sens pour moi aussi - je sais pas si tu sais
que la plupart des mecs qui construisent le mur sont des palestiniens
et la plupart des entreprises qui fournissent le béton sont
palestiniennes tu vois - non mais maintenant ils sont installés à côté
qu’ils restent là moi je vais pas leur dire de partir j’ai pas envie de
faire pareil je veux juste qu’ils me laissent aller à peu près où je
veux quand je veux - tu sais si on fait le tour de la table ici tous
les gens qui sont ici sont déjà allés dans une prison de l’autre côté
ou bien s’ils n’y sont pas allés il y a au moins un membre de leur
famille qui y est actuellement - l’année dernière deux enfants sont
allés jouer de l’autre côté de la route en haut tu vois et un des deux
s’est approché trop près de la barrière alors ils ont tiré et ils l’ont
tué - moi j’en sais rien s’il faut un état deux états et même personne
n’en sait rien parfois je crois qu’on n’est pas assez seul pour se
décider - mais maintenant, maintenant qu’on a parlé qu’on a donné nos
points de vues on est obligé de choisir tu vois on peut pas rester là
comme ça à attendre il faut être dans un camp ou dans l’autre -
cigarette, tu veux une cigarette - ce que je propose c’est qu’on se
réunisse un jour dimanche par exemple et on parle tous ensemble de ce
qu’on peut faire - après c’est bien t’es venu ici toi ce qu’il faudrait
c’est que, quand tu rentres, tu dises tout ce que tu as vu tout ce que
tu sais déjà ça c’est bien, on sait bien que tu vas dire que tu veux
revenir ou des choses comme ça mais on ne sait pas quand alors on
voudrait aussi savoir que tu nous tiennes au courant, si tu dis les
choses - en fait ce qu’il faut comprendre c’est qu’on a envie de savoir
ce que penses les gens de nous et en même temps parfois, moi
personnellement, j’en ai rien à faire et je crois que c’est bien comme
ça - il y a quand même un avantage à aller dans leurs prisons c’est que
comme ça on apprend bien l’anglais - et puis n’oublies pas que la
majeure partie des gens ici n’ont jamais pu aller dans la capitale
parce qu’ils n’ont pas le droit ils ne peuvent même pas sortir du pays
moi par exemple j’ai jamais vu la mer - moi j’ai déjà vu la mer c’était
la mer morte normalement on n’a pas le droit mais j’étais avec un ami
il est allé voir les militaires il leur a donné de l’argent et j’ai pu
voir la mer, mais c’était pas bien tu vois, moi la mer, j’aimerais
pouvoir la voir tranquille et m’asseoir devant et la regarder en me
disant que je pourrais emmener mes gosses la voir plus tard, mais pour
l’instant on n’en sait rien je reverrais peut-être jamais la mer - ils
peuvent bien venir, pendant un moment j’étais fou tu vois j’en avais
tellement marre je voulais partir d’ici alors j’allais au checkpoint,
mais j’ai pas la carte moi tu sais, alors j’y allais et je disais
laissez-moi passer, vous voulez pas me laisser passer alors emmenez-moi
faites-moi sortir d’ici, mais ils ne faisaient rien et je rentrais
toujours le soir finalement "
faut aussi dire que la
première fois t’es venu là surtout t’y as même pas pensé au panneau et
pas sûr que tu l’aies vu mais le type qui conduisait le minibus jaune
il disait tout et c’est plutôt lui que faudrait écouter même
aujourd’hui c’est plutôt lui qu’il faudrait écrire
mais tu sais bien que ça se
passe comme ça les types ils attendent toujours un peu puis ils se font
passer la thune celui qui est là - assis le plus près du chauffeur il
pose les pièces dans la boite le chauffeur il recompte et puis il
gueule par la fenêtre en même temps ou alors il bouffe une pastèque il
demande d’où tu viens parce que t’as pas une gueule à habiter là
tu sais pas vraiment mais peut-être que c’est pour ça que t’es venu
jusque là - être sûr que ça tenait encore d’être là - de marcher seul
dans les rues poussières et de sentir la sueur qui sèche sur le tissu
de ta chemise - de sentir le vent frais de la nuit d’août - et de
marcher
encore qu’une fois et ça t’avait plutôt surpris qu’ils
soient là à dépecer une vache - elle était là ils l’avaient pendue par
les pieds et le sang partout les néons verts y’avait ça aussi les néons
verts les coups de klaxon et le bruit d’une télé derrière les types
chez le barbier
une autre fois la vache pendue par les pieds entre Naplouse et Ramallah
enfin vraiment plus au Nord - plus près de Naplouse même - avec le
soleil comme ça qui te vient en pleine gueule la clim dans le mini bus
- la bête à l’accrochée par une patte c’est une vache blanche noire la
peau à l’éventrée immense le corps de la bête un gosse à côté un type
il met sa main dedans un taxi s’arrête là tout près deux gars - ils
sont assis derrière ils regardent comme on dépèce comme on découpe le
sang - rouge rouge sur le trottoir dans le grand ciel jaune
l’idée c’était de parler du vent frais de la nuit à travers la vitre du
mini-bus qui quitte le camp retour Ramallah mais c’est vrai que sans
parler du camp et du départ comme ça de la route qui secoue ça marche
pas
et ce que ça tremble en toi d’écrire ça les néons verts du minaret de la mosquée
c’est très clair et c’est une autre histoire - enfin pas complètement
parce que justement - la première fois que t’as mis les pieds ici
c’était juste avant ce soir là - il faisait chaud c’était le mois
d’août sur Damas - et tu sirotais des bières sur le mont Quassiun - en
bas les mosquées toutes néons verts les phares des bagnoles et la lune
dans le noir - tu remontais tout juste du sud sur les larges bandes de
bitume et le soleil
Sur
la petite place en haut tu montes dans le minibus jaune et quand il
démarre t’attends un peu puis tu sors tes shekels c’est trois shekels
le trajet et ça secoue un peu - le bitume troué les pierres sur la
route et les bagnoles qui sont là arrêtée les types ils parlent à
d’autres sur le trottoir - la route monte sur un kilomètre peut-être et
les maisons du village se font de plus en plus espacées - dans la nuit
tu le vois bien parce que y’a de moins en moins de lumière et puis tu
passes sous le portique à l’entrée c’est écrit Jalazon en arabe et le
camion file à droite.
Le mini-bus jaune quitte le camp et c’est la nuit - les
types sont dans la rue qui fument des clopes tous assis sur les chaises
ou debout comme ça sur le bitume et le béton qu’est là plein de
poussière - y’a les néons verts sur
le minaret de la mosquée et tu
marches seul dans la rue et t’es heureux de marcher comme ça seul dans
la rue d’avoir le vent frais de la nuit d’août dans la gueule et la
sueur sèche sur ta chemise.