c’est
un virage bien serré à gauche on va dire peut-être 70 degrés c’est tout
de même important de le dire parce que y’a beaucoup de virages dans le
genre là-bas et le bitume est tout lisse qui se fait aplatir chaque
jour asphalte
parce
que ça aussi ça reste à préciser tu n’as jamais vécu à Ramallah tu as
toujours été un étranger à Ramallah et tu es toujours un étranger et
quoiqu’il arrive tu ne comprends rien ou alors voilà - tu as au moins
compris cette chose toute simple quoiqu’il arrive tu ne comprendras
rien et tu te sens plutôt heureux d’avoir compris cette chose et ce
n’est pas grave - les milliers de kilomètres pour comprendre ça
cette dernière histoire est
fausse et tu devrais la retirer de la liste des choses que tu as déjà
entendues dans la salle du centre social d’un camp de réfugiés
palestinien et la mettre dans la liste des choses que tu as déjà
entendues à Ramallah ou bien faire une liste spéciale pour toutes les
choses que t’as déjà dites le type qui a prononcé ces mots à la fin
d’un mois d’aout de Ramadan à Ramallah
liste des choses que tu as
déjà entendues dans la salle du centre social d’un camp de réfugiés
dans les territoires palestiniens occupés :
s’ils sont là moi ça ne me
pose plus de problème maintenant qu’ils sont là - de toutes façons
quoiqu’il arrive, jusqu’à preuve du contraire, nous, les palestiniens,
on est incapable de s’organiser ensemble - je peux te faire les accents
de toutes les villes de Palestine tu verras c’est fou alors la
différence entre l’accent français et l’accent belge oui je comprends
ça fait sens pour moi aussi - je sais pas si tu sais que la plupart des
mecs qui construisent le mur sont des palestiniens et la plupart des
entreprises qui fournissent le béton sont palestiniennes tu vois - non
mais maintenant ils sont installés à côté qu’ils restent là moi je vais
pas leur dire de partir j’ai pas envie de faire pareil je veux juste
qu’ils me laissent aller à peu près où je veux quand je veux - tu sais
si on fait le tour de la table ici tous les gens qui sont ici sont déjà
allés dans une prison de l’autre côté ou bien s’ils n’y sont pas allés
il y a au moins un membre de leur famille qui y est actuellement -
l’année dernière deux enfants sont allés joués de l’autre côté de la
route en haut tu vois et un des deux s’est approché trop près de la
barrière alors ils ont tiré et ils l’ont tué - moi j’en sais rien s’il
faut un état deux états et même personne n’en sait rien parfois je
crois qu’on n’est pas assez seul pour se décider - mais maintenant,
maintenant qu’on a parlé qu’on a donné nos points de vues on est obligé
de choisir tu vois on peut pas rester là comme ça à attendre il faut
être dans un camp ou dans l’autre - cigarette, tu veux une cigarette -
ce que je propose c’est qu’on se réunisse un jour dimanche par exemple
et on parle tous ensemble de ce qu’on peut faire - après c’est bien
t’es venu ici toi ce qu’il faudrait c’est que, quand tu rentres, tu
dises tout ce que tu as vu tout ce que tu sais déjà ça c’est bien, on
sait bien que tu vas dire que tu veux revenir ou des choses comme ça
mais on ne sait pas quand alors on voudrait aussi savoir que tu nous
tiennes au courant, si tu dis les choses - en fait ce qu’il faut
comprendre c’est qu’on a envie de savoir ce que penses les gens de nous
et en même temps parfois, moi personnellement, j’en ai rien à faire et
je crois que c’est bien comme ça - il y a quand même un avantage à
aller dans leurs prisons c’est que comme ça on apprend bien l’anglais -
et puis n’oublies pas que la majeure partie des gens ici n’ont jamais
pu aller dans la capitale parce qu’ils n’ont pas le droit ils ne
peuvent même pas sortir du pays moi par exemple j’ai jamais vu la mer -
moi j’ai déjà vu la mer c’était la mer morte normalement on n’a pas le
droit mais j’étais avec un ami il est allé voir les militaires il leur
a donné de l’argent et j’ai pu voir la mer, mais c’était pas bien tu
vois, moi la mer, j’aimerais pouvoir la voir tranquille et m’asseoir
devant et la regarder en me disant que je pourrais emmener mes gosses
la voir plus tard, mais pour l’instant on n’en sait rien je reverrais
peut-être jamais la mer - ils peuvent bien venir, pendant un moment
j’étais fou tu vois j’en avais tellement marre je voulais partir d’ici
alors j’allais au checkpoint, mais j’ai pas la carte moi tu sais, alors
j’y allais et je disais laissez-moi passer, vous voulez pas me laisser
passer alors emmenez-moi faites-moi sortir d’ici, mais ils ne faisaient
rien et je rentrais toujours le soir finalement
faut aussi dire que la
première fois t’es venu là surtout t’y as même pas pensé au panneau et
pas sûr que tu l’aies vu mais le type qui conduisait le minibus jaune
il disait tout et c’est plutôt lui que faudrait écouter même
aujourd’hui c’est plutôt lui qu’il faudrait écrire
mais tu sais bien que ça se
passe comme ça les types ils attendent toujours un peu puis ils se font
passer la thune celui qui est là - assis le plus près du chauffeur il
pose les pièces dans la boite le chauffeur il recompte et puis il
gueule par la fenêtre en même temps ou alors il bouffe une pastèque il
demande d’où tu viens parce que t’as pas une gueule à habiter là
tu sais pas vraiment mais peut-être que c’est pour ça que t’es venu
jusque là - être sûr que ça tenait encore d’être là - de marcher seul
dans les rues poussières et de sentir la sueur qui sèche sur le tissu
de ta chemise - de sentir le vent frais de la nuit d’août - et de
marcher
encore qu’une fois et ça t’avait plutôt surpris qu’ils
soient là à dépecer une vache - elle était là ils l’avaient pendue par
les pieds et le sang partout les néons verts y’avait ça aussi les néons
verts les coups de klaxon et le bruit d’une télé derrière les types
chez le barbier
une autre fois la vache pendue par les pieds entre Naplouse et Ramallah
enfin vraiment plus au Nord - plus près de Naplouse même - avec le
soleil comme ça qui te vient en pleine gueule la clim dans le mini bus
- la bête à l’accrochée par une patte c’est une vache blanche noire la
peau à l’éventrée immense le corps de la bête un gosse à côté un type
il met sa main dedans un taxi s’arrête là tout près deux gars - ils
sont assis derrière ils regardent comme on dépèce comme on découpe le
sang - rouge rouge sur le trottoir dans le grand ciel jaune
l’idée c’était de parler du vent frais de la nuit à travers la vitre du
mini-bus qui quitte le camp retour Ramallah mais c’est vrai que sans
parler du camp et du départ comme ça de la route qui secoue ça marche
pas
et ce que ça tremble en toi d’écrire ça les néons verts du minaret de la mosquée
c’est très clair et c’est une autre histoire - enfin pas complètement
parce que justement - la première fois que t’as mis les pieds ici
c’était juste avant ce soir là - il faisait chaud c’était le mois
d’août sur Damas - et tu sirotais des bières sur le mont Quassiun - en
bas les mosquées toutes néons verts les phares des bagnoles et la lune
dans le noir - tu remontais tout juste du sud sur les larges bandes de
bitume et le soleil
Au
virage le camion jaune a mis un coup de volant sur la gauche c’est
parce que y’avait un caillou là - une poubelle brûle dans la nuit qu’on
ne sait même plus ce que ça sent avec le frais avec la sueur sur les
corps d’habitude y’a le coucher de soleil sur la montagne en face.
Sur la petite place en haut tu montes dans le minibus jaune et quand il
démarre t’attends un peu puis tu sors tes shekels c’est trois shekels
le trajet et ça secoue un peu - le bitume troué les pierres sur la
route et les bagnoles qui sont là arrêtée les types ils parlent à
d’autres sur le trottoir - la route monte sur un kilomètre peut-être et
les maisons du village se font de plus en plus espacées - dans la nuit
tu le vois bien parce que y’a de moins en moins de lumière et puis tu
passes sous le portique à l’entrée c’est écrit Jalazon en arabe et le
camion file à droite.
Le mini-bus jaune quitte le camp et c’est la nuit - les
types sont dans la rue qui fument des clopes tous assis sur les chaises
ou debout comme ça sur le bitume et le béton qu’est là plein de
poussière - y’a les néons verts sur
le minaret de la mosquée et tu
marches seul dans la rue et t’es heureux de marcher comme ça seul dans
la rue d’avoir le vent frais de la nuit d’août dans la gueule et la
sueur sèche sur ta chemise.