après pas compté le nombre de fois pour essayer de prendre une photo

la première fois que tu l’as vu tu rentrais du boulot et t’y pensais même plus la ville t’avais happé tout entier avalé avalé - il faisait chaud c’était un après-midi vers 14h30 la ville s’agitait sur la place là-bas et en tournant à gauche t’as levé la tête et il était là Mahmoud il était là collé sur le mur

comme il est chaud et la sueur un jour à parcourir la ville les appareils photos à la main à parler sous le soleil et l’air qui te prend en entier chaud - et quand même le vent de la montagne et les bagnoles la sueur dans nos cous sur la peau à traquer des collages absents


et la fois où t’attendais dans le mini-bus jaune les types ils ont dit c’est peut-être l’armée personne parlait


et on pourrait tout reprendre la sortie la place du village au camp la mosquée les néons verts la vache qu’est retournée dans la rue et le sang qui pisse - le vent frais du soir d’août les camions jaunes qu’attendent pas longtemps et que tu montes dedans et que tu sors 3 shekels et que tu les fais passer à celui de devant - le bruit des pièces qui passent d’une main à l’autre - le camion qui démarre les bosses ça te secoue le portique d’entrée du camp la route qu’est interdite aux plaques blanches vertes le virage qu’est serré à gauche et là plein soleil alors t’avais ton appareil et t’as appuyé sur le déclencheur parce que y’a toujours quelque chose d’excitant à appuyer sur le déclencheur de l’appareil photo en plein soleil


et quand tu marches dans la ville le soir quand les rues sont vides toutes et crasses le bitume des trottoirs de tes mondes et tu marches - tu marches dans la nuit et le vent frais dans la pleine fatigue de l’été une voiture passe qui grésille les baffles usées la poussière pare-choc


et Dany qui croyait que c’était la maison qu’avait pris feu il avait fini par ouvrir une Taybeh dans la cuisine et les fenêtres grandes ouvertes ils demandaient d’où ça venait cette odeur de cramé toi tu pensais à la carcasse de poulet qu’était dans le conteneur

à Ramallah les poubelles brûlent les types ils viennent - tu sais jamais vraiment quand et ça m’étonnerait pas qu’ils attendent la nuit - ils allument et ils s’en vont alors parfois les flammes immenses comme ça jaune dans le noir noir de la nuit et ça sent ou alors c’est au matin il reste encore des sacs des morceaux de quoi tu passes à côté et des gouttes de plastique fondues - elles s’écrasent sur le bitume

mais un petit caillou parce que ça arrive qu’ils en mettent de gros avec autour des panneaux dessus c’est écrit quoi danger sauvages un truc assez sale et ils te barrent une route comme ça aussi

c’est un virage bien serré à gauche on va dire peut-être 70 degrés c’est tout de même important de le dire parce que y’a beaucoup de virages dans le genre là-bas et le bitume est tout lisse qui se fait aplatir chaque jour asphalte


parce que ça aussi ça reste à préciser tu n’as jamais vécu à Ramallah tu as toujours été un étranger à Ramallah et tu es toujours un étranger et quoiqu’il arrive tu ne comprends rien ou alors voilà - tu as au moins compris cette chose toute simple quoiqu’il arrive tu ne comprendras rien et tu te sens plutôt heureux d’avoir compris cette chose et ce n’est pas grave - les milliers de kilomètres pour comprendre ça


cette dernière histoire est fausse et tu devrais la retirer de la liste des choses que tu as déjà entendues dans la salle du centre social d’un camp de réfugiés palestinien et la mettre dans la liste des choses que tu as déjà entendues à Ramallah ou bien faire une liste spéciale pour toutes les choses que t’as déjà dites le type qui a prononcé ces mots à la fin d’un mois d’aout de Ramadan à Ramallah

liste des choses que tu as déjà entendues dans la salle du centre social d’un camp de réfugiés dans les territoires palestiniens occupés :

s’ils sont là moi ça ne me pose plus de problème maintenant qu’ils sont là - de toutes façons quoiqu’il arrive, jusqu’à preuve du contraire, nous, les palestiniens, on est incapable de s’organiser ensemble - je peux te faire les accents de toutes les villes de Palestine tu verras c’est fou alors la différence entre l’accent français et l’accent belge oui je comprends ça fait sens pour moi aussi - je sais pas si tu sais que la plupart des mecs qui construisent le mur sont des palestiniens et la plupart des entreprises qui fournissent le béton sont palestiniennes tu vois - non mais maintenant ils sont installés à côté qu’ils restent là moi je vais pas leur dire de partir j’ai pas envie de faire pareil je veux juste qu’ils me laissent aller à peu près où je veux quand je veux - tu sais si on fait le tour de la table ici tous les gens qui sont ici sont déjà allés dans une prison de l’autre côté ou bien s’ils n’y sont pas allés il y a au moins un membre de leur famille qui y est actuellement - l’année dernière deux enfants sont allés joués de l’autre côté de la route en haut tu vois et un des deux s’est approché trop près de la barrière alors ils ont tiré et ils l’ont tué - moi j’en sais rien s’il faut un état deux états et même personne n’en sait rien parfois je crois qu’on n’est pas assez seul pour se décider - mais maintenant, maintenant qu’on a parlé qu’on a donné nos points de vues on est obligé de choisir tu vois on peut pas rester là comme ça à attendre il faut être dans un camp ou dans l’autre - cigarette, tu veux une cigarette - ce que je propose c’est qu’on se réunisse un jour dimanche par exemple et on parle tous ensemble de ce qu’on peut faire - après c’est bien t’es venu ici toi ce qu’il faudrait c’est que, quand tu rentres, tu dises tout ce que tu as vu tout ce que tu sais déjà ça c’est bien, on sait bien que tu vas dire que tu veux revenir ou des choses comme ça mais on ne sait pas quand alors on voudrait aussi savoir que tu nous tiennes au courant, si tu dis les choses - en fait ce qu’il faut comprendre c’est qu’on a envie de savoir ce que penses les gens de nous et en même temps parfois, moi personnellement, j’en ai rien à faire et je crois que c’est bien comme ça - il y a quand même un avantage à aller dans leurs prisons c’est que comme ça on apprend bien l’anglais - et puis n’oublies pas que la majeure partie des gens ici n’ont jamais pu aller dans la capitale parce qu’ils n’ont pas le droit ils ne peuvent même pas sortir du pays moi par exemple j’ai jamais vu la mer - moi j’ai déjà vu la mer c’était la mer morte normalement on n’a pas le droit mais j’étais avec un ami il est allé voir les militaires il leur a donné de l’argent et j’ai pu voir la mer, mais c’était pas bien tu vois, moi la mer, j’aimerais pouvoir la voir tranquille et m’asseoir devant et la regarder en me disant que je pourrais emmener mes gosses la voir plus tard, mais pour l’instant on n’en sait rien je reverrais peut-être jamais la mer - ils peuvent bien venir, pendant un moment j’étais fou tu vois j’en avais tellement marre je voulais partir d’ici alors j’allais au checkpoint, mais j’ai pas la carte moi tu sais, alors j’y allais et je disais laissez-moi passer, vous voulez pas me laisser passer alors emmenez-moi faites-moi sortir d’ici, mais ils ne faisaient rien et je rentrais toujours le soir finalement

faut aussi dire que la première fois t’es venu là surtout t’y as même pas pensé au panneau et pas sûr que tu l’aies vu mais le type qui conduisait le minibus jaune il disait tout et c’est plutôt lui que faudrait écouter même aujourd’hui c’est plutôt lui qu’il faudrait écrire

mais tu sais bien que ça se passe comme ça les types ils attendent toujours un peu puis ils se font passer la thune celui qui est là - assis le plus près du chauffeur il pose les pièces dans la boite le chauffeur il recompte et puis il gueule par la fenêtre en même temps ou alors il bouffe une pastèque il demande d’où tu viens parce que t’as pas une gueule à habiter là


tu sais pas vraiment mais peut-être que c’est pour ça que t’es venu jusque là - être sûr que ça tenait encore d’être là - de marcher seul dans les rues poussières et de sentir la sueur qui sèche sur le tissu de ta chemise - de sentir le vent frais de la nuit d’août - et de marcher


encore qu’une fois et ça t’avait plutôt surpris qu’ils soient là à dépecer une vache - elle était là ils l’avaient pendue par les pieds et le sang partout les néons verts y’avait ça aussi les néons verts les coups de klaxon et le bruit d’une télé derrière les types chez le barbier


une autre fois la vache pendue par les pieds entre Naplouse et Ramallah enfin vraiment plus au Nord - plus près de Naplouse même - avec le soleil comme ça qui te vient en pleine gueule la clim dans le mini bus - la bête à l’accrochée par une patte c’est une vache blanche noire la peau à l’éventrée immense le corps de la bête un gosse à côté un type il met sa main dedans un taxi s’arrête là tout près deux gars - ils sont assis derrière ils regardent comme on dépèce comme on découpe le sang - rouge rouge sur le trottoir dans le grand ciel jaune

l’idée c’était de parler du vent frais de la nuit à travers la vitre du mini-bus qui quitte le camp retour Ramallah mais c’est vrai que sans parler du camp et du départ comme ça de la route qui secoue ça marche pas

et ce que ça tremble en toi d’écrire ça les néons verts du minaret de la mosquée

c’est très clair et c’est une autre histoire - enfin pas complètement parce que justement - la première fois que t’as mis les pieds ici c’était juste avant ce soir là - il faisait chaud c’était le mois d’août sur Damas - et tu sirotais des bières sur le mont Quassiun - en bas les mosquées toutes néons verts les phares des bagnoles et la lune dans le noir - tu remontais tout juste du sud sur les larges bandes de bitume et le soleil
Mais aujourd’hui le soleil est déjà couché mais aujourd’hui il est un peu plus tard mais aujourd’hui c’est la nuit - les phares n’éclairent pas loin et les virages ça bouscule le vendeur de pastèques sur la gauche et la ville là-bas.

Au virage le camion jaune a mis un coup de volant sur la gauche c’est parce que y’avait un caillou là - une poubelle brûle dans la nuit qu’on ne sait même plus ce que ça sent avec le frais avec la sueur sur les corps d’habitude y’a le coucher de soleil sur la montagne en face.


Sur la petite place en haut tu montes dans le minibus jaune et quand il démarre t’attends un peu puis tu sors tes shekels c’est trois shekels le trajet et ça secoue un peu - le bitume troué les pierres sur la route et les bagnoles qui sont là arrêtée les types ils parlent à d’autres sur le trottoir - la route monte sur un kilomètre peut-être et les maisons du village se font de plus en plus espacées - dans la nuit tu le vois bien parce que y’a de moins en moins de lumière et puis tu passes sous le portique à l’entrée c’est écrit Jalazon en arabe et le camion file à droite.


Le mini-bus jaune quitte le camp et c’est la nuit - les types sont dans la rue qui fument des clopes tous assis sur les chaises ou debout comme ça sur le bitume et le béton qu’est là plein de poussière - y’a les néons verts sur le minaret de la mosquée et tu marches seul dans la rue et t’es heureux de marcher comme ça seul dans la rue d’avoir le vent frais de la nuit d’août dans la gueule et la sueur sèche sur ta chemise.