Rouleau-Poème géolocalisé répétant l’expression « tout au bout du chemin ». La carte ci-dessous réunit les bouts du (des?) chemin(s) possible(s). D’après la série « Traverser le continent ». Photographies : AnCé t. Texte : Sébastien Ménard.
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Tout au bout du chemin, il y a des sables à fouler, à traverser, à garder dans le souvenir, dans l’œil et sur la peau — il y a le passage à gué de nos terrains vagues — nos répétitions — nos mâchés-mâchés, encore mâchés, remâchés, et cela suffirait-il à faire descendre la température du poème ? Le pic pollution ? Le nombre de syllabes ? Les immondices ? Le taux de pesticide dans l’eau ? Les points d’interrogation ? Cela suffirait-il à stopper la disparition des oiseaux ? Et les particules de plastiques, ici, tout au bout, tout partout tout partout.
Tout au bout du chemin, il y a l’écoulement des temps & des aciers — alors, comment le dire ? « Mais ce qui suit n’est pas une histoire » — et pourtant : « on » aimerait être rassuré, entendre dire que oui, la popopoésie pourrait nous raconter de petites histoires — et n’est pas toujours un chant qui saurait parcourir de longues distances — tout au bout et ici-même je colle mon carnet, je recopie-colle plutôt & la fenêtre est ouverte : sais-tu compter les oiseaux ? Une fois de plus, la vie / la vie / encore la vie, et tu mélanges tout.
Tout au bout du chemin, il y a toujours un champ où laisser le sun disparaître — une fois de plus / une fois encore — il y a un vieil homme, ivre et cassé, dans son babil et son propre épuisement : ses mains roulent dans du papier journal quelques miettes d’un tabac sans nom. Tout au bout : le cri de la forêt. Le feu de l’automne. Le reflet des herbes. Et « quelques bêtes / là / dans leur éternité tranquille de bête ». Plus personne ne sait le début. Et surtout pas le poème.
Tout au bout du chemin, une voix dit : « traffic lights / airport lights / northern lights / Athen lights » par exemple et dans le grand flux (…) — et alors qu’on entend encore le bruit des vagues les meilleures prévisions annoncent une élévation du niveau de la température GLOBALE, une élévation du niveau GLOBAL des océans (tout au bout le poème « quant à lui » restera calme et tanquille — une île, ce serait une île).
Tout au bout du chemin, il y a du thé blanc en vrac, du yaourt en pot de cinquante centilitres, des petits pains tout doux, des couteaux pliants — c’est sur la photographie c’est imparfait toujours imparfait tout au bout et ici-même — le thé, les yaourts, les farines, les couteaux perdus et pourtant — le poème ne s’étale pas comme la confiture oh voilà : il y a de vieilles dames pour donner des pots de confitures au bord de la route et « sur le chemin » — c’est ce qu’il fallait dire et la tartine tombe toujours du même côté tout au bout, et ici-même c’est comme le poème allez savoir.
Tout au bout du chemin, il y a les mêmes plastiques et nos toisons d’or changeraient de main, passe-passe et gueule : un matin blanc bleu dans les vagues il y a tout au bout bout le nom d’un cargo sur la mer ce serait le début d’un récit — et nous ne changerons rien « nous ne nous taierons pas » dit le poète et c’est vrai tout doucement peut-être nous tiendrons avec si peu — si peu de mots si possible bout de ficelle & tout au bout comme les poussières je me boucle une fois de plus et loupe .
Tout au bout du chemin, le fleuve est immense et le vent souffle tout — il y a d’autres arpenteurs pour nommer les possibles — il y a d’autres immobiles pour aimer le chemin. Tout au bout : où dormira-t-on ? Et que diront les nuits ? C’est vrai, que les questions continuent ? Alors, répétons : il y a les errants et ils iront tout au bout — il y a les errants et ils savent que c’est inutile leur poème est indispensable — il y a les errants, encore les errants, toujours les errants — tout au bout ça fait beaucoup mais c’est tout aussi absurde et tout aussi inconsistant. Quatre syllables pour terminer le poème sont beaucoup trop longues alors tout — file.
Et toi alors ? « Tout au bout » se suffirait et sans chemin l’as-tu trouvé ton amour de cabane, ton coin au vert, ton atelier des tendresses ? L’Amour d’Amirat est le titre de ce livre qui t’avait tant secoué — tout au bout du chemin le reliras-tu ? Tu restes là à poser des questions, tu réunis des bois morts, des branchages et des brindilles, tu allumes un feu, tu fais bouillir de l’eau, des légumes, un peu de riz et des herbes — « la vie / la vie / encore la vie » et tu te répètes, tu te recopies, tu plagies, additionnes, découpes et recoupes mais déjà c’est la nuit que tu écoutes.
Tout au bout du chemin, il y a des fleuves frontières, des fleuves torrents, des fleuves fuyants et l’acier file encore — il y a des colères de ciel et de poussière, des collines à traverser, des possibles à quelques nuits de navigation, et l’image d’un tronc d’arbre qui aurait traversé l’Europe — tout est faux du poème et de son chemin, tout est vrai du bout des livres et de la boue des jours (ou alors ce serait l’inverse) — nos limons tanguent et filent (ou alors ce serait l’inverse) — on jette nos tee-shirts comme des gosses, d’un grand souffle & dingues comme s’il suffisait de se jeter à l’eau.
Tout au bout du chemin, il y a des eaux où aller nager nage nue la nage nue des suées, une voix à garder dans le souvenir, et un ensemble de petits mots qui nous reviennent encore — tout au bout du chemin les héros du poème (encore eux!) essuient un orage et leurs peaux s’apprêtent pour les nuits dehors et ils aiment ça — ils voudraient le dire, doucement — puis, ça continue : les soleils, les nuitées, les kilomètres et les questions — c’est leur chemin leur quest « comme on dit » la tribu du chemin ce serait leur titre et ils tiendraient mais qui ça ?
Tout au bout du chemin, il y a des nuages auxquels on donnerait le nom d’un animal (et cet animal dans sa voix ce serait l’ours), il y a des cabanes en bois car il y a toujours des cabanes en bois — au risque de se répéter, répétons-nous puisque tout se répète-répète — c’est la preuve que le bout du chemin n’existe, se terre, erre lui-même erre — d’une cabane donc posée en bois au bord d’une colline — et on serait là, ici & maintenant, béats, complets, à tenir le feu de la nuit, à tenir le baton de bois, à tenir l’œil, le crayon, le couteau, et peu importe finalement que ça sente quand même encore un peu — le pétrole.
Tout au bout du chemin, il y a un coucher de soleil vers l’est (et ce serait possible enfin) — il y a des trains qu’on empreinte vers quels nouveaux chemins ? Et le mot ours qu’on répète dans nos crépuscules — tickets (en anglais) bilete (en roumain) & ciels bleu jaune & ferraille engouffrée tout au bout du chemin tout continue / tout / bout — bout — bout la boue du bout bout et ça ne suffirait à rien surtout pas à faire sonner le poème (de plus, c’est bien vrai, que « la poésie ne peut pas grand chose » répéte la voix dans la nuit venue).
Tout au bout du chemin le poème ne sauve rien, c’est bien connu, c’est couru d’avance, et nous continuerons nos routes vers les lointains, nous continuerons nos additions : tout au bout du chemin, il y a des fleurs jaune jaune où se cacher, il y a des pistes et des traces, il y a des ciels d’orage, des orages et des pluies, des images, des images, des images, des images rien que des images, il y a enfin, le nom des abeilles et notre tristesse interminable, inconsolable (doucement quand même), sauvons les abeilles! dit le poème, le texte, la pétition, puisqu’il y a, tout au bout du chemin, des bandes de ruches qui vous attendent au bord… au bord de quoi ? Du précipice. Et le fragment se fragmente-là.
Tout au bout du chemin il y a le goût des pommes à peine mûres, il y a des kilomètres d’asphalte, de piste, et de prairie — et les corps suant filant heureux dans leur suée filée, debout sur leurs kilomètres, leurs asphaltes, leurs pistes, leurs prairies, leur quête — voilà voilà : tout au bout du chemin sonne enfin le nom de la quête et il y a encore, un petit coin d’ombre où s’arrêter, laisser le temps poursuivre, observer une colline, un nuage, un peu de poussière, car il y a toujours de la poussière, au bout du chemin, dans le poème et sur ta langue.
Tout au bout du chemin, il y a des radeaux et leur dérive, le souvenir de la dérive, le récit de la dérive, et des corps plongeant dans les eaux du bout du chemin — les eaux des lointains — les eaux de l’Est — et alors ça éclabousse le poème & sa dérive, ça éclabousse les corps & leurs peaux, ça éclabousse le récit, ça éclabousse le souvenir & tout & tout ça éclabousse tout — il fait quarante (40) degrés tout au bout du chemin et ça éclabousse, ça éclabousse, ça éclabousse tu ne peux pas le dire autrement — tout au bout du chemin, il y a de petites plages au bord des rivières, il y a l’allumage des feux de camp, les flammes des feux de camp, et les corps autour des feux de camp — et ça leur suffit.
Tout au bout du chemin il y a des graminées dans le vent, des ciels du soir, des ciels du matin, la suite des jours dans leur inconstance immobile, des poèmes à raccourcir, des mots à raccourcir, des kilomètres à raccourcir ou encore la vision béate des crépuscules et des aubes — tout au bout du chemin et bouche bée bouche béante baragouinant un dernier quelque chose, des mots, encore des mots — par exemple et entre autres bouillonements de marmite, ça, là, un petit peu d’eau pour y glisser quelques légumes et des céréales, et « tout continue / tout / tourne » dirait le bout du chemin lui-même, bouche à bouche.
Tout au bout du chemin nous en sommes — encore — à répéter des « il y a », des « il y eût », des « bouts du chemin », des phares dans la nuit, des pas sous les pluies, des pompes à souvenirs, des tabourets dans le gris, des essences à dérouler les asphaltes, les alphabets, des rouilles, des flaques, cette somme, brassée, l’ensemble, le monde, arpenteurs, ça continue, courons-courons, marchons, traversons, tout au bout du chemin et dans le flou, il y a des pluies qui s’écroulent sur la peau des Hommes, et ça fait des larmes sur leurs joues, et, tout au bout du chemin, nous nous regardons, tendrement.
Tout au bout du chemin, il y a toujours un genre de terrain vague avant dormir / avant le feu / avant la vendange / avant les pluies / avant les possibles / avant les étoiles / avant la poussière / avant les pâtes tout au bout du chemin c’est le terrain vague avant écrire, et au loin, il y a le raffinement des sédiments, des mots de plus de trois syllables à faire jaillir dans le poème MAIS TOUT VA BIEN puisqu’il y a des mers noir noir, comme des collines et des lointains pour nous faire oublier les mots de trois syllabes, le raffinement, le terrain vague, et les ciels qu’on ne verra plus.
Tout au bout du chemin, « chacun cherche ce que chacun doit chercher » disent les poèmes du bout de l’Europe — alors ça « veut » dire qu’il y a de ces choses qu’on répète-répète-répète trois fois au moins comme des « boxcars boxcars boxcars » qui traversent les décennies (les États, les continents, les océans), sans rails ni rien tout au bout du chemin les soleils brûlent, les poussières soufflent, les fleuves continuent — et les chevaux sauvages galopent dans le poème, sur le chemin, dans les bouches et voilà — tout au bout du chemin — ils s’échappent ils s’échappent — c’est leur route, c’est leur route et nous ne finirons plus nos phrases.
Tout au bout du chemin, il y a, entre les ferrailles entre les frontières, des bêtes — et elles attendent dans leur vaste plaine le bout du chemin, la suite des saisons, les quignons de pain, l’ombre des errants, l’aboiement des vents, car tout au bout du chemin, les saisons se suivent, les quignons de pain se donnent, l’ombre des errants file, et les vents aboient. Une petite voix répète, à la descente d’un train, à la sortie d’une ville, au passage d’une frontière : « tout est bien et tout est là, tout au bout du chemin ».
Tout au bout du chemin, il y a « la nuit avant les buffalos », il y a les buffalos qui broutent, là où ils doivent brouter, comme dans la chanson, comme dans la vraie vie, comme toujours tout au bout du chemin, il y a quelques paroles qu’on fredonne, qu’on répète, qu’on relance, sans vraiment les connaître — il y a des odeurs de fumier, une pastèque éventrée, partagée, à même le sol toussa-toussa sans compter sur le va-et-vient des camions des diésels sur l’arrière-plan de nos carlingues.
Tout au bout du chemin, d’une main à l’autre, il y a des grappes de raisins, des tomates, des galettes de pain, et quelques mots dans des langues inconnues. Il y a des lunes qui suivent la route des errants, il y a les errants, toujours dans la poussière et sur le chemin, à errer, comme les chiens. D’ailleurs, tout au bout du chemin, il y a les chiens errants des lointains, leurs aboiements, leurs jappements, leurs petits cris de bêtes sauvages & tendres et tendres & sauvages. Tout au bout du chemin, quelqu’un creuse un peu la terre, enfonce quelques branches, brindilles, morceaux de papier, d’un geste léger, sûr, précis, il enflamme son œuvre éphémère, et voilà qu’un feu de camp, tout au bout du chemin, éclaire les possibles et les routes et les doutes.
Tout au bout du chemin, il y a des barrières, des barbelés, des fusils, des treillis, des jeeps vert kaki, des caméras, des rouilles, des patrouilles — tout au bout du chemin, il y a toujours une frontière à traverser, un col, des plastiques, des immondices — mais tout va bien puisqu’il y a encore quelques corps pour allumer un feu dans la nuit — et tenir.
Tout au bout du chemin, quelque part autour de Vourgareli, par exemple, commencerait là où ailleurs, l’histoire du bout — et il y a toujours des montagnes à l’horizon, des orages à l’horizon, des brumes à l’horizon, des poussières à l’horizon (il n’y a pas de chemin sans poussière — ni — tout au bout du chemin — de poème sans poussière).
Tout au bout du chemin, il y a les bétons et les rouilles rouilles rouilles qui sonnent comme on avale les eaux-de-vie. Il y a les eaux-de-vie de bienvenue, de bonne arrivée, de bon appétit, de merci, de bonuit, de bon matin, de douce folie, de sirotage, et puis il y a tout ce qu’on veut (eau-de-feu) (si tu te prends pour un Indien). On pourrait dire finalement, tout au bout du chemin, des villes pénétrées pour un soir, déjà quittées, restées dans le halo, la brume, l’usure.
Tout au bout du chemin, il y a un feu de bois allumé dans la nuit, des troncs d’arbre pour s’asseoir dessus, des tisons & le son des insecticides qu’ils répandent. Tout au bout du chemin, il y a des fleuves à traverser à la nage, le son des diésels dessus et, « comme on dit » : les lumières de la nuit.
Tout au bout du chemin, il y a d’autres aciers, d’autres rails, d’autres routes, d’autres conteneurs, d’autres semi-remorques, d’autres plastiques, d’autres chimies, d’autres pétroles, d’autres villes, d’autres entrepôts, d’autres chemins — toujours, des chemins. On peut aussi trouver, une zone de chill out — par exemple — un champ, un coin au vert, aux abords de la ville, des chemins, un plat / à partager, un lieu pour la nuit et le bout du chemin, à nouveau dans sa propre course-poursuite.
Tout au bout du chemin, au risque de s’aggraver, de se répéter, de s’enfoncer, à force de passer sur mêmes pistes, mêmes traces, il y a : virelots et culs-de-sac, qui ne sauraient faire le bout, la fin, la toute fin du chemin et des routes. Tout au bout du chemin, il y a quitter les villes, les asphaltes, les bétons, et par exemple : un arbre en fleur (au milieu d’un champ), des herbes hautes, vertes, d’avril, ou de mai, le vert pareil, il y a des corps allongés là, il y a l’entrelacement, la chaleur, les ventres, les jambes, TOUT, TOUT EST LÀ, tout au bout / du / chemin.
Tout au bout du chemin, il y a — Last & lost — des villages, des cabanes, des champs, des rivières, des asphaltes, des marchés, des halles, des places, des arrêts de bus, des ponts en fer, des parapets de béton, des frontières, TOUS — tout au bout du chemin — abandonnés, rouillés, à bout & perdus, magnifiques, usés, déclamatoires, inutiles (poétiques), immobiles, presque poussières — tout au bout du chemin qu’on arpente.
Tout au bout du chemin, il y a des trains qui filent et filent encore, des frontières, des rivières, des aciers, des liquides. Tout au bout du chemin, il y a le défilé des ciels et des inconnus, les possibles, les tentatives, et les fatigues. Tout au bout du chemin, il y a cette histoire de l’Est lointain, de miroir promené le long de la route, et d’un film repassé en boucle, un ferraillement de tête, un cantique de la poussière. Il y a encore : des répétitions, des cailloux, des sueurs, une course-poursuite avec les étoiles, clang-clang-clang de ferrailles ou de bagnoles — usées, gimmick-poème de retour, sur le chemin.
Tout au bout du chemin, il y a l’Est lointain, les plaines de l’Est lointain, les collines de l’Est lointain, la poussière de l’Est lointain, les visages de l’Est lointain, les bêtes de l’Est lointain, les herbes sèches de l’Est lointain, l’asphalte de l’Est lointain, les légendes de l’Est lointain, les ciels de l’Est lointain, les virages de l’Est lointain, les fleuves de l’Est lointain, les nuits de l’Est lointain, tout ça tout au bout du chemin notre Est lointain ou encore : les bouts des chemins de l’Est lointain.
Tout au bout du chemin, il y a des bateaux pour traverser les mers (tout va bien), des bagnoles qui filent sur les glaces (c’est une histoire), et le soir en feu, embrasé, rouge orange. Tout au bout du chemin, il y a des îles à habiter, îles, îles, îles, c’était un poème déjà, et de toutes petites îles, et de grandes îles, et des maisons en bois qui attendraient quoi ? Je lance mes chaussures par dessus bord dit une voix étrange : il y a des lieux secrets, des lieux à couvert, des lieux de nuitée. Il y a encore : des noms qu’on répète sans les comprendre, une petite réserve de nourritures, de vivres, quelques litres de flotte, par exemple. Un port abandonné. Une crique, déserte, et froide. Le ciel des Nords. Le bout du chemin lui-même : c’est un mensonge / c’est un poème.
Tout au bout du chemin, il y a le début d’un ruisseau, d’un torrent, d’une rivière, d’un fleuve, d’une nuit, des étoiles, d’une course-poursuite, des écoulements, des tremblements, des carnets, des récoltes, des étés, des chaleurs, des suées, des kilomètres, des virages, des dingues, des paumés, des lointains, des possibles, des poussières, des souvenirs, tout au bout du chemin…
Tout au bout du chemin, il y a le repas constitué, par exemple, de quelques feuilles de bêtes, de cardes, et qui auraient passé l’hiver, et revenues dans huile, herbes, sels, et étalées sur quelques tranches de pain jaune jaune, puisque le pain tout au bout du chemin est jaune jaune. Il y a encore des oignons rouge rouge glanés sur le marchés, le souvenir du film Les glaneurs et la glaneuse, quelques histoires de pomme de terre, et des couteaux pliants. Tout au bout du chemin, il y a des fleurs de calendula — des galbenele — des bourraches, des menthes. Il y a encore, par exemple, le formica de la table du salon de la caravane, et que ça sonne déjà si bien comme ça.
Tout au bout du chemin il y a des traces-traces-traces & s’entremêlent, se mélangent, se croisent, se birfurquent, se dépassent, se surpassent, s’entrelacent, et continuent, encore, encore, encore & ne s’arrêtent pas, aux rivières, aux fleuves, aux mares, aux boires, aux lacs, aux étangs, mais plutôt s’échangent, par exemple contre quelques billets d’une monnaie dont le chemin, lui-même, ne retient pas le taux de change. Tout au bout du chemin : poèmes, poussières, et quelques buffles sous le soleil.
Tout au bout du chemin sont fleuves, rivières, torrents et peut-être aussi, des mers dont on aime prononcer le nom dans la nuit. Tout au bout du chemin, c’est cabanes-machines, c’est bancs-bancs, c’est chaises-shapées par le vent. Oh et puis il y a encore, des sons-sons qu’on répète dans des langues-langues inconnues. Des semi-remorques. Des trains de marchandises. Des péniches. Des conteneurs. Des grues.
Tout au bout du chemin, il y a des gares qu’on traverse, d’autres où l’on entre, et encore d’autres qui s’éloignent. Tout au bout du chemin, il y a du jaune orange dans la nuit, des chiens errants, un billet de dix euros plié au fond d’un sac, et quelques coups de tampon sur un passeport. Tout au bout du chemin, il y a le mot frontière, et nous le contournons, nous l’enjambons, nous le traversons. Tout au bout du chemin, il y a les wagons vides des trains qui parcourent les continents, il y a la fenêtre des plaines qui défilent, et des silhouettes debout sur le vent.
Tout au bout du chemin, c’est la rive : il y a des fleuves et des plages, des feux de camps, des bois flottés, des bois brûlés. Tout au bout du chemin, il y a des rafiots, des pontons, des bouées, des flotteurs, des moteurs à hélice, des rames et des radeaux. Tout au bout du chemin, il y a des gosses qui jouent aux Indiens, des plumes sans oiseaux, des danses de la pluie sans pluie, des totems sans visages, et des masques d’esprit sans esprit. Tout au bout du chemin, il y a un canoë pour transporter les corps et les suées, il y a l’autre rive en face, et sa façon de chemin toujours continué, parfois même, en pointillés.
Tout au bout du chemin, il y a des cailloux, des boues et des neiges dans le lointain. Il y a le son des diésels, un asphalte neuf-neuf, des printemps, des ruches, des chemins abandonnés, et des yeux dans la brume. Tout au bout du chemin, il y a des dizaines de virages-virelots-virées. Il y a des altitudes, des rivières, et des plaines qu’on devine enfin. Tout au bout du chemin, il y a l’obturateur de nos souvenirs, quelques noms imprononçables, et tout ce que le chemin lui-même ne sait pas.
Tout au bout du chemin, il y a des cigognes, des sables, des plastiques et des lacs d’eau douce. Il y a des toboggans vers l’ailleurs, des canettes en métal, des baraques en terre, en torchis, en paille. Tout au bout du chemin, il y a des restaurants à l’arrêt, des bancs face aux lointains, des pluriels qu’on ajoute aux rives, aux ciels, aux soleils, aux pluies, et à nos battements. Tout au bout du chemin, il y a des barques, des cabanes, et des traces-traces-traces.
Tout au bout du chemin il y a des vents, des fatigues, des abris. Tout au bout du chemin, il y a l’odeur de l’alcool à brûler, une petite sphère en titane qui tiendrait dans la poche, et nos faims quotidiennes. Il y a encore de petites collectes étranges : des morceaux de bois, des cailloux, des pommes de pin, des branches. Tout au bout du chemin, il y a des milliers de moustiques, des boues, et des bêtes hurlant dans la nuit.
Tout au bout du chemin, il y a ceux qu’on sait à côté, mais qu’on ne voit pas. Tout au bout du chemin, il y a le souvenir du nom d’une ville, celui du passé d’un homme, et celui d’une direction qu’on donne à des voyageurs. Tout au bout du chemin, il y a les herbes du bord des routes, les plastiques, les bouteilles, les bêtes. Il y a les soleils qui écrasent tout, les sources d’eau fraîche qu’on attend encore, le nom des villes, le nom des lieux. Tout au bout du chemin, il y a des rouilles, des poussières, des gravats et des bétons. Il y a des asphaltes, des bois, des chiens.
Tout au bout du chemin, il y a les montagnes qu’on se choisit, les bêtes qu’on imagine, les descentes qu’on affonne. Tout au bout du chemin, il y a des vents glacés, des congères et des ciels nouveaux. Il y a aussi le mot ciel, qu’on ne prononce pas si souvent. Tout au bout du chemin, il y a des marcheurs, des silhouettes, des voix et des pas dans le blanc.
Tout au bout du chemin, il y a les premières nuits dehors, le bruit des bêtes, le son du gasoil dans le loin. Tout au bout du chemin, il y a quelques arbres fruitiers dans la pénombre, et des flammes sous nos victuailles. Tout au bout du chemin, il y a un chien pour aboyer. Il est seul, dans sa vaste plaine. Tout au bout du chemin, le ciel s’embrase pour la première fois de l’année.
Tout au bout du chemin, il y a les soleils que tu n’as jamais vus, il y a le son d’une moteur à essence sur le canal, et des diésels improbables. Tout au bout du chemin, il y a des façons de continuer les routes, les chemins, les pistes, les traces. Tout au bout du chemin, il y a le prix d’un ticket pour le pont inférieur, des saluts lancés depuis la rive, et des villes-bouts-du-monde. Tout au bout du chemin, il y a ce que tu continues dans la poussière, il y a la poussière, il y a le mot poussière, et la suite des poussières.