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On n’a pas de langue...

vendredi 30 novembre 2012, par sebmenard

on n’a pas de langue

on n’a pas de langue on n’a pas de mot y’a rien

c’est mort

c’est tout mort

on n’a pas de langue

on sait pas quoi on sait plus c’est marre

chut


au loin on entend l’accent d’un présentateur de journal radiophonique on entend le bruit d’un camion poubelle ses gyrophares dans le noir — on entend au loin quelque chose mais on ne sait rien

au loin on entend le bruit d’une ferraille c’est une ferraille qui se frotte l’une contre l’autre — deux ferrailles deux morceaux de ferrailles l’un contre l’autre

question : est-ce que le métal froid gueule encore ?


nous allons remonter la pente

je répète

nous allons remonter la pente

nous allons changer de cap

je répète

nous allons changer de cap

nous allons mettre nos noms sur des feuilles et des chiffres

répétons

nous allons signer des feuilles et des chiffres

l’animal blessé court un peu dans le noir

je répète

l’animal blessé court un peu dans le noir

(et dans la fin du jour on s’endort épuisé mort)


Je suis sur la côte. Je suis au bord de la mer. Je vois la mer. Je vois les vagues s’écraser dans la mer. J’entends l’eau s’écraser dans la mer. J’entends l’écume qui mousse sur le sable je vois l’eau — elle est aspiré par le sable je vois le ciel au loin j’entends la mer il y a des cris c’est des oiseaux. Je suis sur la ôte. Je suis au bord de la mer. Je regarde au loin je vois l’horizon. L’horizon se départage assez facilement entre la mer en bas et le ciel en haut. La zone entre les deux est un peu floue sans doute je suis sur la côte il y a un navire un grand navire là-bas. Ce n’est pas vrai mais je l’écris j’entends le va-et-vient des eaux sales du navire à l’intérieur des grandes cuves j’entends quelque chose c’est un rythme régulier ce n’est pas vrai.


au loin on entend une voix amplifiée


Je sais que nous enfermons des gens. Je sais que nous enfermons des gens pour différentes raisons. Je sais que nous enfermons des gens parce qu’ils ne sont pas nés là par exemple. Je sais que nous vendons des armes. Je ne connais pas le prix d’une arme automatique de haute qualité fabrication nationale. Je sais que nous vendons des centrales nucléaires. Je ne connais pas le prix d’une centrale nucléaire. Je sais que nous tuons. Je sais que nous émettons des décrets qui rendent accessibles certaines professions à certains groupes de gens. Je sais que nous mettons — parfois en les forçant — des hommes des femmes dans des avions pour les faire traverser un continent. Je sais que certaines choses se disent et d’autres non. Je sais que selon différents critères nous autorisons ou non certaines personnes à voter ou non à certaines élections ou non. Je sais que des hommes meurent sur des barques surchargés en tentant de traverser une mer. Je sais que nous construisons des murs en fil de fer. Je sais que certains meurent seuls les nuits froides. Je sais. Nous savons.


au loin on entend une voix dire quelque chose — quelques secondes après — ce sont des milliers de voix elles crient toutes ensemble


c’est un sanglier

c’est un sanglier noir noir

c’est une bête et poil elle court et brame non c’est un sanglier

il fonce

ses yeux sont noirs sont rouges il court il court et gueule dans sa nuit

c’est une bête elle court et gueule dans sa nuit de bête de vieille bête

qu’on lui foute du plomb dans le cuir n’y change rien

elle gueule


Pendant ce temps-là sur le boulevard périphérique une longue suite de bagnoles s’étire entre les deux sorties Est de la ville — les phares dans la nuit sont rouge rouge et clignotent au rythme des coups de frein — il arrive qu’un véhicule s’écarte sur la voie de droite — sans doute pour regarder au loin la longue suite de bagnoles qui s’étire — en face les phares jaune jaune avancent lentement qui semblent dessiner un long serpent jaune rouge allongé lent sur le bitume — pendant ce temps-là sur le boulevard périphérique chacun pense à sa liste de course — on aperçoit au loin l’enseigne d’un supermarché néons bleus dans le noir — on entendrait presque le bruit des sacs plastiques et des courses qui s’entrechoquent lors d’un coup de frein.


dans les haut-parleurs c’est le direct — un homme fait la liste de ses créanciers et quelques dizaines de milliers de personne l’écoutent


après on entend une vache elle meugle et puis plus rien.