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Autin-Grenier, Pierre | Les radis bleus

lundi 3 mars 2014, par sebmenard

Mardi 8 février

Sainte Jacqueline

Écrire tout comme planter un arbre, c’est faire le long apprentissage de la patience.

Retour de la ville, on retrouve les chers mots inutiles, rangés par ordre dans le dictionnaire, pareils ces chemins fastidieux qu’alentour trace sans cesse la campagne pour ne mener nulle part.

On n’invente rien. On voudrait dire seulement le monde plus bleu. Croire encore à des petits coins chauds au creux de décembre. Espérer en ce peu de sucre qui reste toujours au fond de la tasse, quand le café est bu.

Mais votre chien est mort cet été. De toutes parts des guerres locales saccagent les familles. Ici une forêt prend feu. Alors l’impatience reculant ses limites, on se laisse aller à imaginer d’autres choses…

Ainsi, parfois, raconter des histoires repose d’y croire.

Vendredi 25 novembre

Sainte Catherine

Rien n’est plus simple que le linge qui sèche sur le fil tendu entre le cerisier et l’acacia. La mésange qui se pose, légère, à côté des serviettes à carreaux rouges et bleus a tout compris. Et la voilà qui s’envole avec le vent faisant un instant vraiment bouger la vie.

Le front contre la vitre, l’oeil loin au-delà, on prend ainsi l’exacte mesure du temps. Toute gesticulation devient vite dérisoire quand on sait le discret travail de l’arbre, l’infinie persévérance des hautes herbes, l’ombre qu’il faut encore au jour pour lentement devenir la nuit.

Ils ne savent pas, ceux qu’une telle sagesse porte à mourir, quelle rare patience réclame chaque aube nouvelle et que vouloir forcer l’allure ne mène jamais nulle part.

Jeudi 20 janvier

Saint Sébastien

Rien de plus démoralisant que de soudain se sentir — deux ou trois secondes seulement — capable de quelque chose.

Jeudi 21 juillet

Saint Victor

L’assiette ébréchée, sur la table, dit plus à propos de la mort que mille paroles de philosophe.


Autin-Grenier, Pierre, Les radis bleus, Éditions Gallimard, 2005.


première lecture au Dé bleu : publié en 1990.

souvenir d’avoir échangé une fois par voie postale avec Pierre Autin-Grenier (m’avait même offert un livre)

récits et rythme — poésie

lors de la disparition de Pierre Autin-Grenier, j’ai envoyé un mail à mon vieux pote A. qui vivait à ce moment-là en Amérique du Sud.