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nuit temps zéro

jeudi 24 mars 2011, par sebmenard

" une nuit d’aout - c’était une nuit d’aout et il faisait chaud - je ne bougeais pas je ne bouge jamais - je suis là - je suis raide - la nuit je regarde la lune - je sens la lumière de la lune là tout contre - et je rends - lent - la chaleur du jour - il arrive qu’on vienne me toucher en pleine nuit - qu’on pose une main tout contre moi - il y en a ils viennent vérifier comme pour s’assurer que même la nuit - je suis là et je ne bouge pas - non - je ne bouge pas - depuis qu’on m’a mis là je ne bouge pas - me demande même pas si je dois bouger ou non - je bouge pas - on m’a mis là - j’attends - je sens contre moi le contact froid de la peinture et elle brule un peu mais c’est rien - il y a des gens ils viennent ils me mettent de la peinture partout ils dessinent ils écrivent des mots je ne bouge pas - je ne sais pas lire - cette nuit là il y avait des chiens - les chiens errants ils viennent ils sont là souvent le jour ils se mettent à l’ombre ils se couchent ils sont là contre moi ils cherchent le frais - la nuit ils hurlent les chiens errants la nuit ils marchent ils filent autour de moi je les entends au loin ils hurlent je les entends près de moi ils hurlent ils poussent des petits cris parfois même - ils se battent dans la nuit - cette nuit là - les chiens errants ne se battaient pas - ils allaient comme ça dans le noir - et moi je ne bougeais pas - au loin il y a des bruits ça doit être des pétards et parfois même des feux d’artifices des lumières rouges vertes dans la nuit - mais je ne les entends pas - je n’entends rien - parfois des hommes et des femmes s’approchent ils sont pleins et ils crient ils voudraient que je parte - ils voudraient que je n’existe pas - parfois des hommes et des femmes s’approchent ils me surveillent ils m’inspectent parfois même la nuit ils me mettent une lampe torche dans les yeux et ils me regardent - je ne bouge pas - cette nuit là - personne n’est venu - il y avait une jeep au loin qui filait dans le noir - je ne sais pas - combien de temps je resterai là - je ne décide rien - je vieillis doucement - il pourrait même arriver que je m’effondre un jour - pas tout de suite - pas cette nuit-là - il y avait les étoiles au dessus - et j’attendais dans le noir - personne n’est venu - il y en a certaines nuits ils viennent ils me mettent une corde autour du cou un grappin et ils escaladent - ils me montent dessus ils poussent des petits cris ils soufflent dans la nuit c’est pas facile - on me photographie souvent - mais pas cette nuit-là - on me photographie et les photos de moi font le tour de la planète tout le monde me connait tout le monde m’a déjà vu là - nu - tout le monde m’a déjà vu nu sous le soleil avec la poussière et le ciel bleu je suis beau comme ça - dans le coucher de soleil avec la poussière avec le ciel bleu - en réalité je n’ai pas de nom - je ne parle pas je ne pense pas même la nuit - même cette nuit-là - mes extrémités je ne les connais pas on me dit que je suis un trait sur une carte - je suis là je suis debout je suis raide entre deux plaines et je ne bouge pas - je vous l’ai dit je n’entends rien je ne sens rien je ne parle pas je ne pense pas et d’ailleurs - ce n’est pas moi qui vous parle - et pourtant - tout le monde me connait - je suis célèbre - je sais qu’on dit de moi que je suis laid mais je m’en fous - je ne sais pas ce que c’est - être laid - je ne bouge pas je ne suis même pas une devinette et mon corps c’est du béton - quant à la nuit la nuit - je n’ai jamais connu que la nuit - c’est vrai - même en plein jour - leur nuit continue..."


Voir en ligne : proposition d’écriture : fbon