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Une mélodie un accordéon

vendredi 25 septembre 2015, par sebmenard

Nous avions voulu retrouver une mélodie un accordéon. Une mélodie qui s’échappe d’une cour boueuse — une mélodie un accordéon — et qui file dans un village.

Nous avions fait plusieurs milliers de kilomètres — et il est arrivé qu’une mélodie quelque chose s’élève d’une baraque en terre — d’une bagnole — d’un appartement en haut d’une tour en béton. À Grojdibodu nous avons entendu des sons forts et baffles pendant plusieurs heures — et les pieds dans la poussière ils dansaient. À Provadia un après-midi calme — en haut d’un immeuble — un type avait poussé le volume. Sur la route numéro 39 entre Eforie et 23 August — une vieille tire file qui laisse trembler ses vitres et basses dingues. Mais nous cherchions un autre moment.

Il fallait un village — un village seul — au bout d’une piste et suivi de pistes — un village sans route ni bagnole ni rien — presque rien. Des bêtes. Quelques familles.

Et alors ça se mélange dans un tremblé de poules — de chiens — et de tronçonneuse (il fallait une tronçonneuse car il y a toujours une tronçonneuse qui tourne dans un coin du village). Un moteur de tronçonneuse et une mélodie un accordéon — de temps à autre le vent pousse la mélodie ailleurs derrière la rivière et vers la vallée par exemple — puis ça revient un accordéon sans doute.

On cherchait une mélodie au loin qui s’échappe d’une maison on y fait un grill — et ça sent un mélange de viandes — de bois — de poussières et d’huile chaude — ça sent un mélange de fumées de fientes de sueurs et d’herbes fraîches coupées.

On cherchait une mélodie au loin qui s’échappe d’une maison on y fête le soleil ou la fin de l’été — la venue d’un étranger l’arrivée d’une bagnole ou la mort de la bête de l’année — peu importe ça s’échappe dans le village cette mélodie c’est toujours la même — on croirait toujours la même et un homme est pieds nus.

On cherchait un homme qui danse et pieds nus dans la poussière ou la boue — il ferme les yeux derrière ses lunettes de soleil — il titube un peu visse un chapeau sur sa tête elle dodeline d’un côté l’autre et son sourire est puissant l’accordéon file sa folie d’accordéon — l’homme danse sa folie d’homme ivre — la poussière se soulève sèche sèche — d’autres autour regardent dans la nuit déjà là — certains dansent certains remplissent des verres.

Quelqu’un pousse le volume un peu plus fort — c’est indécent mais ainsi tout le village sait — quelqu’un sourit en écoutant cette mélodie — et les bêtes elles-mêmes ne dorment plus. Sur les toits du village la fumée s’étale lentement — un flou gris bleu donne sa forme au tas de maisons coincées entre les pentes — et sur la colline en face une bagnole soulève la poussière — on entend aussi un homme derrière ses bêtes là-bas qui leur parle et gueule des mots des sons — qu’elles avancent encore.

Alors nous avons entendu la mélodie un accordéon : je ne sais pas vraiment pourquoi il fallait entendre cette mélodie et voir ce lieu — je ne sais pas pourquoi nous cherchons des sons et nous filons toujours ailleurs. Ensuite — il fallait écrire l’histoire de la mélodie de l’accordéon — et personne ne se souvient vraiment de la fin de ce moment — qui pour avoir éteint le poste — qui pour avoir tourné le bouton du volume — qui la fumée — qui la poussière — qui les mots.

C’est une fumée douce comme la mélodie — quelque chose qui s’étale lentement et envahit tout — je ne sais pas trouver ça ailleurs — c’est là — vers l’Est.