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De cette carte déchirée

mercredi 7 octobre 2015, par sebmenard

Il y a cette histoire de carte déchirée et des pages s’envolent dans la voiture — une odeur d’herbe fraîche l’été — des pneus qui chantent sur le bitume et notre désir de l’est.

Les gens comme nous achètent des cartes pour rouler vers l’est — il en faut toujours un pour se décider et mettre les tunes nécessaires à l’achat d’une carte et puis tout le monde est heureux avec cette carte.

C’est simplement que les routes de l’est n’existent pas toujours sur les cartes — ou encore que les cartes ne connaissent pas toutes les routes de l’est.

Vers Vidra il y a cette route qui traverse les Carpates et les lacs — des immeubles abandonnés et des trucks qui portent les bois les coupes des forêts. Cette route tremble la carlingue et le bitume — cette route c’est une histoire un silence l’instant d’une image et notre carte ouverte sur le vide.

Entre Lugoj et Deva — quelle piste pour notre désir de l’est — on tournait la carte dans toutes les directions — elle passait d’une main à l’autre elle tombait sur les sièges — on la jetait sur le tableau de bord — on lui faisait prendre l’air par la vitre ouverte en criant un poème ou un son incompréhensible mais dingue — entre Lugoj et Deva aucun souvenir de cette route et personne pour imaginer le Château des Carpathes car notre ignorance est immense et fait sourire — mais cette carte alors.

Il nous est arrivé de poser la carte sur le capot d’une bagnole et sur une table — de demander à celui qui passait là ce qu’il en pensait de cette carte et du nom d’une ville — il nous regardait il souriait sans même un regard pour cette carte — il faisait des signes des gestes et des mouvements de têtes — comme pour mieux nous expliquer qu’ici — la route file sans carte.

Il est arrivé de garder cette carte entre nos mains et de poser quelques questions à un homme à une femme — il prenait alors son temps pour regarder la carte et finalement s’en détournait tout à fait — poussait un peu le papier encombrant et nous racontait son histoire de la route et de l’est — ce qui nous convenait.

On avait fini par comprendre — cette carte il fallait la jeter la fermer la ranger — cette carte portait des rêves et des désirs mais rien d’autre — elle n’indiquait pas les lieux de nos départs — ni ceux de nos trajets — déjà des pages s’étaient détachées et s’envolaient.

On avait continué notre route comme il fallait continuer la route et finalement incapables de fermer cette carte tout comme d’oublier son nom — on avait affonné des chemins des pistes et de l’asphalte à la recherche de nos propres tremblements de nos silences aussi — la carte s’usait lentement la couverture se détachait de plus en plus — les coins était écornés humides des nuits passés contre un pare-brise ou sous un siège.

Sans doute entre Košice et Prešov — sans doute sur une route de l’est et la pluie tombait comme elle tombe parfois à l’est et alors les eaux restent sur le bitume et les bêtes vont lentement vers leurs lieux de bêtes — sans doute que l’un d’entre nous avait voulu ouvrir une vitre et alors le vent la pluie s’étaient engouffrés là et avaient soufflé l’ensemble nos gueules des papiers des crasses et cette carte ouverte sur le tableau de bord — ses pages déchirées pour voler dans l’habitacle — certains pour poser des pieds trempés boueux dessus et notre désir de carte pour trembler un peu mais surtout toucher — comme ça à l’est — un peu de ce qu’on pourrait appeler vérité.

Les moments de nos vérités ne durent pas longtemps — et il faut parfois les écrire pour qu’ils prennent à la fois leur nom et leur sens.