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A la colonie pénitentiaire, une fable dans nos brouillards

mardi 27 mars 2012, par sebmenard

Parce que la secousse se produit parfois comme ça - un texte pour en ouvrir d’autres à nouveau - parce que celui-ci - c’est comme jaillir d’un brouillard (mais le brouillard est là).

2La raison l’horreur2

Il faudrait comprendre comment ça marche - comme les mots dans leurs nappes tranquilles viennent comme ça dire l’essentiel pour qu’on s’imagine - enfin que ça lance les rouages de tout ça - ce qui a été écrit - scène qu’on a là sous les yeux (question : qu’est-ce qu’on voit quand on lit)

Il en admira d’autant plus l’officier qui, dans son uniforme de défilé serré au corps, alourdi par des épaulettes, orné d’aiguillettes, expliquait son affaire avec tant de zèle, et qui arrivait en plus, pendant qu’il parlait, à donner un petit coup de tournevis ici et là.

Donc - l’observateur l’officier le condamné - celui qui observe reste là quasi immobile (mais les moindres mots gestes sont essentiels) - et l’officier est là qui prépare la punition du condamné - il explique naturellement - rationnellement - avec raison c’est ça - un jugement qui n’a pas eu lieu :

- Voilà les faits. Le capitaine est venu em voir il y a une heure, j’ai noté ses déclaration, puis aussitôt la sentence. Ensuite, j’ai fait enchaîner l’homme. Tout cela a été très simple. Si j’avais fait d’abord comparaître l’homme pour l’interroger, cela n’aurait généré que de la confusion. Il aurait menti, et si j’avais réussi à réfuter ses mensonges, il les aurait remplacés par des nouveaux, et ainsi de suite. Alors que maintenant je le tiens et je ne lâche plus. - Est-ce que maintenant tout est clair ? Mais le temps passe, l’exécution devrait déjà commencer, et je n’ai pas encore fini d’expliquer le fonctionnement de l’appareil.

Ensuite - ça file vers le terrifiant - une idée de la domination - de la violence - toute en détail - avec les rigueur de l’observation appliquée.

Vous voyez, dit l’officier, deux sortes d’aiguilles disposées de multiples façons. Pas d’aiguille longue sans une petite à côté. C’est la longue qui écrit, pendant que la petite asperge de l’eau pour nettoyer le sang et conserver la clarté de l’écriture. L’eau ensanglantée est emportée ensuite dans de petites rigoles et s’écoule enfin par ce conduit principal qui mène à la fosse.

Ce qu’il faut bien noter c’est cela - l’essentiel du récit progresse dans ce domaine - l’explication technique et droite du processus de punition par la mort du condamné.

Et le cadavre finit toujours par tomber dans la fosse après un vol incompréhensiblement doux.

2La fable pour nous trembler2

Ce n’est pas seulement ça - d’abord le temps - un temps irréel on dirait - car on peut adapter la fable à tout moment - cette façon d’automatiser la punition et la mort :

Pendant ce temps, les surfaces écorchées par l’inscription s’étendent sur le coton qui, suite à la préparation spéciale, stoppe immédiatement l’hémorragie et les prépare à une inscription plus profonde.

Quelle machine - on a là sous les yeux - et la machine du texte en lui-même.

Ce qui intrigue c’est aussi l’inaction de l’observateur face à cette horreur - et ça dure longtemps - l’officier à des doutes et le narrateur nous les livre.

Je connais le commandant. J’ai tout de suite compris ce qu’il cherchait à faire. Bien qu’il soit assez puissant pour s’attaquer à moi, il n’ose pas encore, mais il veut m’exposer à votre jugement, celui d’un étranger de renom. C’est un fin calculateur ; cela fait deux jours que vous êtes sur l’île, vous n’avez connu ni le commandant ni ses pensées, vous êtes prisonnier de vos conceptions européennes, peut-être êtes-vous un adversaire résolu de la peine de mort en général et d’un tel mode d’exécution machinique en particulier (...).

Au passage - l’élément géographique - l’Europe - pour nous c’est comme se prendre en pleine face encore plus fort le conte.

La suite : le dialogue entre l’observateur et l’officier - le moment du "non" - et comme on ne sait même plus vraiment à quoi s’attendre - mais en réalité tout est réglé ainsi - au plus effrayant de l’ordinaire.

Finalement l’officier prendra la place du condamné - ce qui reste d’image c’est celle du corps - la chaire - et le sang la mort - par un retournement terrible - ce qu’on comprend c’est donc ça - cette place du condamné et de la douleur - elle est pour tous.

Ce qui retient le souffle à la lecture - c’est comme on se sent proche de l’image - le texte est là qui colle parfait à notre époque nos mondes.

2La question du A2

La question du A - "A la colonie pénitentiaire" - il faut lire la note de Didier Blazy :

Nous avons tous en tête La Colonie Pénitentiaire. LA Colonie est trop identitaire : elle paralyse les devenirs. Laurent Margantin précise : A la colonie pénitentiaire. Et le A, ablation passée, retrouve ses sens multiples et ouverts, offre ses devenirs en partage.
In der Strafcolonie. Dans la colonie aurait fixé davantage l’identité. Or Dans la Colonie, rien n’est figé. Tout bouge et tout semble déterminé. A la Colonie, le voyageur va, visite une île, voit et tente de comprendre ce qui s’y passe, ce que se passe, ce qui devient, ce qui est en train de devenir.

2Kafka2

Un témoignage de Max Brod - pour retrouver l’homme :

Bien souvent les admirateurs de Kafka, qui ne le connaissent que d’après ses livres, se font de lui une image tout à fait fausse. Ils croient qu’il devait produire sur ses amis l’impression de quelqu’un de triste et même de désespéré. C’est tout le contraire. On se sentait à l’aise avec lui.

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Garder pour relire : éclaircissement sur l’homme et l’oeuvre - François Bon chez Oeuvres Ouvertes.

2Boîte noire2

A la colonie pénitentiaire - une traduction de Laurent Margantin (voir dans le journal)

Lecture sur l’iPod.

Photographies : route dans le brouillard - Roumanie - entre Brasov et Zarnesti - au pied des Carpates - janvier 2011.

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