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Puis nous avions décidé de marcher dans les montagnes
jeudi 11 février 2016, par
Nous avions quitté les grands rassemblements de cuivres et d’alcools — les routes — les villes et nos portefeuilles (plusieurs centaines d’euros de cash avaient disparu).
Nous avions passé des frontières et des virages — des stations-essence. L’une d’entre elle sur un plateau de l’est. Le héros de quel récit pourrait tenter de régler ses dizaines de litres de gasoil à coup de carte bancaire là-bas ? Et le vent souffle des sacs plastiques entre les conteneurs éventrés — le béton — quelques briques. Mais tout ce temps est terminé — les héros n’existent plus — et nos corps épuisés ne demandent parfois qu’à dormir.
Donc nous avions passé une nuit au bord d’un chemin — puis nous avions continué vers ces lieux inconnus — simplement heureux de parcourir des lieux inconnus. Des plateaux — des carcasses en métal à l’abandon — des ombres — des chiens — des ruines — des vents.
Enfin — nous étions au pied d’une montagne. Enfin — nous laissions la bagnole et nos bardas sur un terrain. Enfin — nous étions partis et nous marchions dans la montagne. Un lac — des eaux froides — des oiseaux — le bruit de nos pas.
Nous avons monté plusieurs heures — il y avait un col à passer. C’était raide — lent — et chaud. Caillasse. Phrases qu’on se repète en suivant la trace. Et la passe là-haut — d’un oeil on la garde en vue. De temps à autre on s’arrête pour raconter une histoire — l’un des héros de cette histoire et des autres clarifie sa pensée — une ou deux phrases pas plus — un peu de silence — puis la trace.
Fianlement nous tous ici poussières nous étions mis tranquillement à grignoter des morceaux — ascension effectuée — à l’abri d’un roc et en observant la vallée. On disait des trucs comme :
- c’est beau hein ?
- t’as vu le chemin qui monte en face ?
- l’hiver ça doit pas être mal aussi
- ça change des plaines de l’est
- il doit bien y avoir des bêtes par ici
- tu me passes ton shlass ?
- on se boirait bien un coup de jus non ?
- j’aimerais bien connaître l’altitude
Toutes choses que les héros de ce récit pourraient se dire au moment de goûter quelques morceaux au pied d’un roc — sur une passe d’une de ces montagnes de l’est au milieu d’une journée d’été. Nul récit à ramener. Nul carnet à porter. Et les films argentiques on les a perdus.
Ce qu’on ne savait pas c’est que derrière — un orage comme on en connaît peu gonflait énorme — ça commençait pourtant à souffler — ça soufflait déjà en fait. Quand l’un d’entre nous se lève pour voir de l’autre côté de la passe — c’est déjà trop tard. Et le vent souffle tout — nous plaque contre les herbes. Énormes nuages gris noir. Nous on a fait nos sacs et rangé nos shlass — on a repris la suite de la trace et on est trempés froids déjà — ça souffle et pleut et grêle des grêlons énormes qui claquent et qui tordent la peau — parfois on crie — parfois on écoute. L’un d’entre nous avait si mal aux jambes qu’il fallait lui faire des massages de boue — alors c’était comme ça : quelqu’un faisait des massages de boues et ses mains dans la boue sous la grêle dans le vent et le froid — on glissait — on avançait — on descendait — et ça tonnait énorme dans le ciel. Nul carnet. Nul poème. Pas maintenant. Nos corps à l’abri sous un creux de la roche quelques minutes : ce souvenir.
On est descendus vite et on a marché comme ça deux heures au moins sous la flotte et dans le vent — entre les grêles les éclairs et les caillasses qui descendaient plus vite que nous — on a rattrapé des sentiers des forêts — des panneaux indiquaient des lieux des cabanes à plusieurs heures de marche — nous on filait vers notre point de départ. À un moment quelqu’un demande si on n’aurait pas vu son ami plus haut. On a vu personne là-haut on dit. Et ça nous est resté en bouche comme en tête quelques temps encore cette personne qui cherchait son ami là-haut mais qu’on n’avait pas vu nous.
En arrivant au village — on a pris une douche glacée et puis on a filé dans une auberge. On s’est assis devant des soupes — des bières — des poissons et des pommes de terre. On était heureux de notre marche — des boues qu’on passe sur la peau pour enlever des crampes — des grêles et des soupes — des bières et des poissons — de notre histoire qu’on avait fini par noter dans un carnet car on ne sait pas faire autre chose. Chacun finissait par avouer qu’il avait eu peur quand même là-haut et que c’était une belle histoire de l’est finalement.
Plus tard — il y eut des feux dans la nuit — des chants — des flammes — un homme et sa casquette qui ne pouvait plus passer de frontières — des hommes et des femmes prêts à en découdre avec eux-mêmes — quelques obturateurs qu’on déclenche dans la nuit — des films argentiques encore là — des chiens — la forme des sapins dans la nuit — une lune qu’on ne voit pas. Puis nous avons repris la route.