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Venaille, Franck | Requiem de guerre

jeudi 19 octobre 2017, par sebmenard

 

 

 

Longeant le trottoir, apercevant là-bas la lumière des réverbères.

Pour moi la réalité c’est une jambe après l’autre. Violemment. Halte. Respirer. Repartir pour deux mètres. Laissez-moi. Souffler. Avec violence, c’est cela : violemment.

 »Gai vieillard, pourquoi ces plaintes ? » me chuchote la voix de l’ange à tête de cheval.

Sur un autre pont. Je n’admets rien. Je ne supporte pas cette contrainte. Je le crie. Des passants se retournent. Tout prend fin dans l’indifférence des généraux. Et moi je demeure dans l’escalier. Assis sur une marche. À soliloquer. À haute voix. L’eau continue de monter. Des jeunes gens (garçons et filles mêlés) s’amusent, rient en passant sous mon corps. Je ne vais pas prononcer un discours politique puisque j’ai la bouche pleine de terre.

de terre — de terre — de terre — de terre — pleine de terre —

La vie est. La vie quoi ! Obstinément !

Échapper à la lourdeur de la pensée. M’habituer. M’entraîner.

Redevenir l’enfant des dunes. Il est bien tard et je n’ai pas terminé mes devoirs.

Mais voici qu’on installe un nouveau pont sur ce canal. Il ne me cédera la place qu’à l’issue d’un long combat mené contre les glissades, le vertige, la craine née d’une eau vive.

Tout cela sous l’œil absent de ceux qui s’enferment pour vivre.

L’eau ! Elle provient bien du ciel. J’ai la preuve. L’huissier l’a constaté.

Cette pluie glisse sur ce qui fut autrefois un tronc d’arbre. Bois humide. L’odeur d’essence. Et la brume sur tout cela jouant sa partition pour elle seule. D’autres murs effondrés. Des appels au secours. Pour rire.

pp. 13-14

 

 

 

 Cheval Chagrin.

Je l’ai trouvé dans un quelconque hameau d’un petit village gris-noir de montagne. La crainte du précipice l’emportait sur toute chose. Cet amoncellement de caillasse (en bas). Écuries à l’abandon (encore en contrebas). Pierres rongées par la guerre du chaud et du froid. Et tout cela dans les ruines du village ancien.

L’air était à couper au couteau. La journée brûlante on y parlait de tout sauf de vie personnelle. Puis quelqu’un se décida à quitter le groupe. Il ne salua personne.

Les vieux crachaient.

Ainsi la vie était présente partout, chez elle.

Contradictoire, comme nous l’aimons.

Fier, l’air de ne pas s’en laisser compter le cheval chagrin

avançait,

hésitant.

L’air carrément conquis il rejoignit les autres, tous les autres.

Tandis que le village, satisfait, admirait la beauté d’âme du cheval chagrin.

pp.33-34

 

 

 

On vivait dans le déséquilibre. C’était le pain quotidien de la communauté (pour les uns conserver l’équilibre en marchant pour d’autres, retrouver le sens de la marche, avançant jambe après jambe, pied à pied — Zim Boum — Zim Boum — Boum — Boum — Boum). C’est le bruit d’un corps qui tombe, s’affale dans le long couloir jaune. Panique. Vite ! Les plus romantiques établissent déjà un rapprochement entre cette chute d’un vieux patient et le naufrage du Titanic. Moi, je dis que la vie anormale doit immédiatement reprendre son cours ! J’arrive ici en fin de matinée. Le soir je disparais après le bouillon de 19 heures. Il ne me reste plus qu’à occuper mon temps de vie, des semaines et des mois durant.

p.88

 

 

 

 C’est cela ! Parfois la vie s’arrête. On dit : « Je désespère » et c’est comme si, soudainement, le monde entier reprenait sa face la plus tragique. L’homme à la tête de cheval retrouve la trace de ses sabots sur le sable. Vrai ! Les migraines, en premier, reviennent. Puis la sécheresse de bouche. La douleur pénètre dans chaque muscle. À vous les crampes soudaines. Ô la salive ! Hé ! De quoi vous plaignez-vous encore ? Je me souviens. J’ai vu des cités entières exploser sous le poids des bombes lâchées par l’aviation des hommes mauvais. J’ai vu. Oui j’ai vu ce moment où l’amour délicat. Où l’amour laisse sa place, s’efface, dirait-on pour de nouveaux sentiments. (…)

p. 100

 

 

 


Venaille, Franck, Requiem de guerre, 2017, Mercure de France.