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Lâchons nos bêtes intimes

dimanche 8 novembre 2015, par sebmenard

Je ne sais pas pourquoi il faut écrire cette histoire — je ne sais rien. Pourtant : il est à peu près certain que j’étais sur ce col un jour oui — je suis bien allé sur ce col une nuit aussi mais quelle histoire raconter désormais (il y a trop de mots quand tu écris il y a trop de choses tu devrais en enlever un peu).

Que cette histoire soit vraie ou pas — qu’on y croit à peine même si c’est cela très exactement ce qui se dit — parce qu’on se lève certains matins avec en bouche un morceau comme ça : « pleine puissance sur le col de Borşa un jour que le vent soufflait une brume immobile et froide ».

Et je n’y suis pour rien — je veux dire : ces mots ce n’est pas moi sans doute ou bien pas vraiment — pas tout à fait — ou bien encore ce serait : « on aurait mangé un sandwich à la rate de porc avant d’aller marcher dans les herbes d’été » (c’était à l’époque des viandes).

Ou bien peut-être que ça a un sens — par exemple quand j’aurai dit toutes les histoires à dire — je les placerai là devant puis je les regarderai et alors on saura — c’est sûr — pourquoi les histoires viennent et pourquoi on les raconte on les écoute — mais c’est faut — tout est faux — tu sais bien que c’est faux.

Alors il sera temps de retourner sur le col de Borşa et de regarder un orage éclater sur les sommets en racontant une histoire — une autre histoire avec des mots qui claquent et qui rient ou bien alors se taire et dans le silence.

« Pourquoi tu te prends toujours pour un autre — pourquoi tu écris ça » — est-ce que tu pourrais seulement répondre à cette question — mais il n’y a pas de réponse et ce jour-là pourtant — j’avais tenté de trouver des réponses je cherchais mes mots peut-être — et je ne les ai pas trouvé c’est sûr et tant mieux — voilà c’est ça : rien ne sert de réussir — échouer est magnifique.

L’histoire que je porte c’est aussi ce jour où on s’arrête devant un mur et les pieds sur le bitume et une voix dit : « c’est pas grave — c’est pas la première fois que tu te plantes— tu verras — c’est magnifique ».

Alors en regardant les bêtes dans les herbes sur le col de Borşa je pense à leur vie de bêtes — je sens l’odeur du bois — je sens les herbes — les herbes couchés dans les boues les terres (souvent j’imagine que ce serait ça la vie : on aurait une cabane sur une colline ou au bord d’un fleuve et on regarderait les bêtes et les légumes — des légumes des images et des mots ce sera notre nouveau slogan et je l’écris sur un mur sur l’écran d’un ordinateur sur un tee-shirt — mais ça ne donne pas de solution ni de héros aux histoires qu’on raconte).

« Pourquoi t’écris comme ça — on comprend pas ce que tu dis » — mais après il faudra expliquer que c’est comme ça — que c’est une tubée de langue et que ça souffle ça souffle — et puis rien d’autre — mais il n’y a pas d’histoire en fait — il n’y a rien et on ne peut pas comprendre.

C’est vrai on ne peut pas comprendre et c’est vrai que la vie c’est comme ça — d’autres soirs encore il y a cette phrase — c’est un poème magnifique et qui termine ainsi : « la vie la vie la vie — encore la vie » — sans doute que c’est pour ça qu’on écrit des histoires — parce que ça tremble et ça n’a pas de sens.

Debout sur le col de Borşa et de nos récits je ne sais pas quels comptes on règle avec nos corps nos travées nos bordées et nos plaines — je ne suis pas certain de vouloir le savoir — échouons magnifiques et tendres — oui c’est ça — tout comme les mots qui parlent à ma place de mots de bêtes de corps et c’est du blablabla qui sent la poussière.

Lâchons nos bêtes intimes. Même si ça n’a rien d’évident à penser à réaliser — c’est pourtant ça — lâchons nos bêtes intimes (ce col de Borşa — un instant — j’ai cru que c’était mon héros).