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Fénéon, Brancuşi et l’infini

mardi 28 février 2012, par sebmenard

images : SebMénard, Roumanie, Août 2011, Eos 5D.

La nouvelle en trois lignes - les romans condensés comme ça - et courir après cette syntaxe cette grammaire comme des coups de poings : d’où ça vient - journal Le Matin - Félix Fénéon tient la rubrique "Faits divers" - 1905-1906 - et donc une contrainte - que ça soit court - et que ça dise l’essentiel - beaucoup déjà pour avoir remarqué le lien avec Twitter - 150 signes chez Fénéon - 140 pour un Tweet - s’abonner au fil Twitter de Félix Fénon en français - et même une version en anglais - animée pendant un temps par Luc Sante.

Relire Fénéon en mode aléatoire - c’est comme ça sur Publie.Net - c’est une certaine idée de l’infini - cette sensation là voilà - dans la suite des jours et des jours - toujours une petite variation et l’anecdote est là - implacable et en même temps pleine d’ironie - c’est parfois cruel - et on est face à l’instantané ordinaire - les petites choses des trucs habituels - et ça semble sans fin.
Donc cette colonne de l’infini ou colonne sans fin - Brăncuşi - c’est à Târgu Jiu - Roumanie - parce qu’il y a ça aussi - la simplicité - l’idée d’une réduction d’une sape qui sans cesse est là pour raper ce qui est autour - et donc après ce qui reste est là : la simplicité et la rigueur des formes - la géométrie - l’humanité qui est là et dedans.

C’est ça aussi les nouvelles de Fénéon - une grammaire pour peindre le monde - et ce qui transparaît : les inventions - les morts - les lois - la politique - les jaloux - les questions qui se posent : tout ce qui fait les vies a-t-il sa place dans le journal - un syntaxe raisonnablement déjantée nous permet-elle de l’accepter - comment tenir dans ce vertige de vivre et de langue ?

Alors la vie - et il ne se passe parfois pas grand chose :

33. La fête du 1er mai fut bruyante à Lorient, mais nul geste de violence n’y donna prétexte à répression.

L’argent - les compagnies marchandes - le cynisme de celui qui peut voir et en quatres mots on envoie l’ensemble :

296. Pour le transport du charbon des navires (Toulon), nul des vingt-quatre soumissionnaires agréés ne fit d’offre ; les clauses les effraient.

C’est situé - parfois un mot suffit pour ça - et l’idée de Loire - pour nous qui avons grandi auprès - rien que de l’ordinaire et cette façon de casser un rythme à l’intérieur même de la phrase :

329. Les mitrons Depalle, de Belmont, et Laville, de Roanne, se sont noyés en Loire : perdu dans un trou.

Finalement - ce qu’il raconte - au fil des pages - ça oscille et ça devient parfois secondaire - une grammaire virtuose qui s’avale et qui va surprendre :

324. Deux noyés trouvés à Suresnes et au Mesnil-le-Roi. sur l’un, papiers au nom de J. Villaume ; sur l’autre, deux mouchoirs marqués L.

Ce qu’il nous dit sans cesse - c’est l’erreur - ça meurt beaucoup et y’a du sang - mais c’est aussi l’absurde et la folie :

624. A Trianon, un visiteur s’est dévêtu et s’est couché dans le lit impérial. On conteste qu’il soit, comme il le dit, Napoléon IV.

C’est tellement que même les choses les plus droites nous paraîtraient penchées - c’est de l’invisible les mots comme ils se suivent - La Colonne sans fin de Brăncuşi réserve aussi des surprises - sillonner les routes du Sud de la Roumanie c’est aussi retrouver les traces - colonnes infinies qui soutiennent l’auvent d’un bar sur la route des Carpates - réductions proches du village du sculpteur des essais ou bien des copies - c’est des traces - comment il fait Fénénon - il a la presse les dépêches d’informations les courriers - une multiplication les mots - le travail de sape que c’est la réduction ainsi - et comme c’est une claque à chaque fois - parce que les mots malgré tout - là - sont libres.

Fénéon c’est aussi la lecture des Illuminations de Rimbaud - dans Vogue dont il le rédacteur - 1886. Notes à réunir : l’anarchiste - et le critique.

Boite Noire |

Une lecture de l’epub simple puis une autre aléatoire - c’est sur l’iPod et facilement ouvert - un coup de doigt sur les dés pour faire avancer à travers la comédie de la vie.
On trouve une lecture chez François Bon - ou encore sur le blog MediaPart Les Mains dans les Poches.
Les nouvelles en trois lignes ont été publiées de façon anonyme dans Le Matin.
Les photographies ont été prises à Târgu Jiu, en Roumanie, en août 2011. Le parallèle est surprenant - mais c’est vraiment ça - une idée de l’infini.