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Daniel Bourrion, la langue-vie, articuler

jeudi 26 avril 2012, par sebmenard

Continuer une petite série Daniel Bourrion - c’était lecture dans le train Drăgăneşti-Olt / Bucureşti avant bref séjour en France.

Déjà souligné ça chez Daniel Bourrion - le creusement de la phrase - du mot - de la langue

Avec ma langue enfuie a disparu un monde, mon monde, celui dans lequel je suis né, celui d’avant ma vie et du commencement de cette vie, celui des premiers pas et des premières paroles, des premiers gestes et des visages tels que des montagnes dont la plupart ont à présent disparu, érodés d’abord et puis figés, gommés, effacés d’un seul coup sans que plus rien, ou pas grand chose, ne témoigne d’eux.

Ce qui nous claque à l’oreille c’est ça - la douceur de la machine mots - ça semble s’enfiler tranquillement s’étirer - et dans le même temps la précision de la ponctuation - le rythme - soutenu par les mots eux-mêmes (« celui... » - trois fois) - c’est une façon de faire grandir la phrase - de creuser la phrase - de dire les choses - sans qu’on n’en perde un seul mot.

Questionnement - de quoi parle cette langue - quelle est cette langue perdue - et quelle est donc celle qui nous parle - maintenant - si clairement :

Avec ma langue perdue, enfin, c’est l’univers dans son entier qui est tombé dans le grand rien maintenant que je n’ai plus les mots premiers que j’avais donc pour dire tout - j’avais sans doute bien peu de termes alors dans ma réserve mais ce peu-là était tout juste ce qui bornait mon monde, en recouvrait même précisément chaque pli.

C’est l’histoire d’une langue perdue - c’est d’histoire d’une langue pauvre (vraiment ?) - d’une langue qui serait elle-même le monde qu’elle nomme.

L’enfance de Daniel Bourrion a d’abord été dans le Platt, puis le bilinguisme à l’école. La langue française est cependant sa langue d’écrivain.

(présentation de l’éditeur)

On entre dans certaines parts des vies - on est au croisement - à la faille autobiographique :

Ma langue est lourde des morts que je sais là dessous ma terre, ma grasse terre-mère à vallées grises, à vallées longues.

Et il faut lire cette phrase à voix haute - vraiment - lentement - pour en saisir un autre degré de musique - une langue territoire - et la langue même utilisée pour parler de cette autre langue - c’est quelque chose.

Ce court texte me restera comme une énigme :

Dans ce décor je ne parle pas, je n’écris pas, je reste là à me garder de moi glissant de toute ma prudence dans l’aine blanche du silence en l’espoir vain que tous m’oublient, ma langue de guingois, et puis ma terre, et puis mes morts.

C’est terriblement chargé - d’émotion et de vie - c’est une histoire de langues - au pluriel - et une histoire de langue - au singulier - puisque justement celle-ci qui nous parle à ceci d’exceptionnelle qu’on l’entend seule et debout - et puis à travers les mots - les morts - quelques morceaux du paysages - c’est à cela que ça sert les mots - la vie - c’est bien ça penser - les articuler.

Boîte noire |

Texte de publie.net lu sur l’iPod dans le train Drăgăneşti-Olt / Bucureşti - images prises à la volée avec l’iPod - les plaines du Sud - application Hipstamatic sans aucun post-traitement.
Daniel Bourrion en son blog et sur Twitter.