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Chants | Sugoï
vendredi 18 octobre 2019, par
avec Valère Novarina et ma scie Sugoï
« Bonjour Sébastien. Merci encore pour cette commande et beaucoup de plaisir avec la sugoï »
Sugoï customer service
Sugoï
Sugoï est le nom de cette grande scie arboricole
que je viens d’acquérir
je l’ai payée avec le remboursement partiel
des frais de transport en commun
pour me rendre sur mon lieu de travail
je ne sais pas vraiment ce que signifie
le lieu
du travail
mais j’ai appris récemment que Sugoï signifie exceptionnellement bien
j’ai appris que Sugoï signifie exceptionnellement bien
et que les mots en savent sur le langage beaucoup plus que nous
je tiens ma scie Sugoï en main
et je lui souffle
Sugoï Sugoï
comme ça
doucement
doucement
je lui dis Sugoï Sugoï
je lui dis depuis que j’ai appris que nous ne nommons pas les choses
nous les appelons
alors j’appelle ma scie
je l’appelle Sugoï Sugï
j’ai encore appris que la scie Sugoï
s’affute
avec une lime
et que le langage porte le vide dans la matière
et la brûle par dedans
ouaip
c’est peut-être pour cette raison que j’ai abattu un petit acacia avec ma scie Sugoï
je veux dire :
pour chauffer quelque chose avec son bois
brûler du réel afin de retrouver de l’enfoui
le poème doit préciser que j’ai abattu ce petit acacia
car il empêchait des figuiers de grandir
(toute vraie parole garde toujours pour nous
une face cachée)
j’ai fabriqué un manche pour un croc
grâce à une partie de l’acacia
j’ai fabriqué un manche
et les mots meurent en nous
ce dont on ne peut parler
ma nouvelle scie Sugoï
à des bandes rouges sur son manche
ce qui fait que les arboristes ont surnommé cette scie
arbre tigre
je n’ai pas encore les poèmes qui vont avec
mais c’est un bon titre
pour un livre de poèmes ça
arbre tigre
Sugoï Sugoï
Sugoï Sugoï je lui répète
à ma scie
à ma scie et aux bois
aux herbes
à la vie
au poème
voilà
je suis cet animal
traversé par la joie de parler
La lutte des morts a été écrite en allant à chaque pause — comme à l’entracte — pelleter du béton ou creuser un trou. J’aimais passer du crayon à la pioche. Je cherche une discipline répétitive : une prière musculaire et un abrutissement.
Valère Novarina, Devant la parole.