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Monologue

jeudi 29 août 2013, par sebmenard

proposition 5 : leur faire siffler le monologue


(...) je ne sais pas pourquoi il faut écrire cette histoire je ne sais rien — il est à peu près sûr que je devais être sur ce col un jour oui je suis bien allé sur ce col une nuit aussi mais c’est cette histoire là que je raconte désormais — il y a trop de mots quand tu écris il y a trop de choses tu pourrais en enlever un peu — que cette histoire soit vraie ou pas qu’on y croit à peine parce que c’est cela très exactement qu’il faut dire et parce que je me lève encore certains matins avec une phrase en bouche par exemple : pleine puissance sur le col de Borşa un matin que le vent soufflait une brume immobile et froide — et je n’y suis pour rien je veux dire ces mots ce n’est pas moi sans doute ou bien pas vraiment pas tout à fait — ou bien encore ce serait ceci : on aurait mangé un sandwich à la rate de porc avant d’aller marcher dans les herbes d’été — ou bien peut-être que ça a un sens vraiment par exemple quand j’aurai dit toutes les histoires à dire je les placerai là devant et puis je les regarderai et alors on saura c’est sûr pourquoi les histoires viennent et pourquoi on les raconte on les écoute — mais c’est faux tout est faux tu sais bien que c’est faux — alors il sera temps de retourner sur le col de Borşa et de regarder un orage éclater sur les sommets ou bien de manger quelques viandes hachées grillées huilées en sirotant une bière et en racontant une histoire encore avec des mots qui claquent et qui rient ou bien en se taisant sans un bruit dans le silence — pourquoi tu te prends toujours pour un autre — pourquoi t’écris ça — est-ce que tu pourrais seulement répondre à cette question — pourquoi t’écris ça — et bien sûr il n’y a pas de réponse mais ce jour-là c’est certain j’avais pourtant essayé de trouver une réponse je cherchais mes mots peut-être et je ne les ai pas trouvés c’est sûr et tant mieux — voilà c’est ça — ça ne sert à rien de réussir — c’est échouer qui est magnifique — l’histoire que je porte c’est aussi ce jour dans la banlieue de Damas pour s’arrêter devant un mur chaud et les pieds sur le bitume et alors une voix elle dit : c’est pas grave c’est la première fois que tu te plantes mais c’est pas grave tu verras c’est magnifique — alors en regardant les bêtes dans les herbes sur le col de Borşa je pense à leur vie de bêtes et je sens aussi l’odeur du bois l’odeur des herbes qu’ils ont couché dans les boues les terres — souvent j’imagine que ça serait ça la vie on aurait une cabane sur une colline sur une montagne et on regardait les bêtes et les légumes — des légumes des images et des mots ça serait notre nouveau slogan et j’écris ça sur un mûr sur l’écran d’un ordinateur sur un tee-shirt mais ça ne donne pas de solutions ni de héros aux histoires qu’on raconte — pourquoi t’écris comme ça — on comprend pas ce que tu dis — mais après il faudra que je leur explique que je ne choisis pas que c’est comme ça que c’est une tubée de langue et que ça souffle ça souffle et puis rien d’autre — mais il n’y a pas d’histoire on ne peut pas comprendre — et c’est vrai qu’on ne peut pas comprendre et c’est vrai que la vie c’est comme ça d’autres soirs encore il y a cette phrase c’est un poème magnifique qui termine comme ça la vie la vie la vie — encore la vie — sans doute que c’est pour ça qu’on écrit des histoires — parce que ça nous tremble et ça n’a pas de sens — mais tu t’identifies trop beaucoup trop — c’est pas toi ça — c’est pas toi — debout sur le col de Borşa je ne sais pas quels comptes on règle avec nos corps nos travées nos bordées et nos plaines et je ne suis pas certain de vouloir le savoir — oui c’est ça tout comme qui parle à ma place mes mots tout ça c’est du blabla ça sent la poussière (...)